Ody Saban
Lilith also called The Breasts of Hell in Çatal Hüyük
Parmi les témoignages du passé, les ruines les fossiles et les traces, j’ai toujours préféré celles et ceux que la main et l’esprit de l’humanité aliéné a le plus désiré détruire, salir, confondre et oublier. Nous avons besoin de ces ruines, de ces fossiles et de ces traces-là, pour construire solidement une utopie et une civilisation surréaliste dont Micheline et Vincent Bounoure, ont avec leurs amis, commencé à tracer une ébauche de projet.
Nous, surréalistes, avons toujours chercher nos Grandes et Grands Ancêtres légendaires parmi les plus haïs et les plus enterrés.
J’ai, très tôt, cherché à faire croître et se multiplier tout un people de Liliths, aussi différentes des unes des autres, si possible. Je les ai décrassées de la tradition spiritualiste. Je les ai aimées. Je les ai lavées dans du lait de la jument. Puis je les ai cherchés un abri.
Çatal Hüyük est le contraire d’un petit joli village. Le concept de beau peut certes lui convenir, mais plus évidemment celui de sublime.
Çatal Hüyük est mort deux fois. Les recherches archéologiques provoquent, comme on sait, une deuxième mort. J’ai vu, sur place, le site de Çatal Hüyük complétement dévasté. On dirait une tempête de haine s’est abattue sur lui. Il y a eu une appropriation et une fossilisation subjectives dans un livre: celui de « Çatal Hüyük a Neolithic Town in Anatolia » en français « Çatal Hüyük, une des premières cités du monde” 1967, écrit par James Meellart, édité par Sir Mortimer Wheeler et les commentaires suscitées par ce livre. Ensuite dans le Musée des civilisations anatoliennes d’Ankara.
Çatal Hüyük est construit et reconstruit à de nombreuses reprises par couches superposées, pendant plus d’un demi millénaire. Cela en altitude, sur un Haut Plateau Anatolien.
Au temps où, à Çatal Hüyük, vivait de sa propre vie, à approximativement entre 7200 et 6400 avant l’air dit “chrétien”, ce très grand village de plus de 3500 à 8000 habitants, était construit sous terre. On vivait aussi sur les toits et on entrait dans les bâtiments (maisons et temples) placés côtes à côtes, par des trappes et des échelles. Cette architecture fut reconstruite, presque à l’identique, une douzaine de fois. Les fouilles ont donc procédé à la destruction définitives, étage par étage.
La recherche a fini par conclure que la civilisation de Çatal Hüyük a entretenu un très vaste réseau de contacts et d’échanges de minéraux, de végétaux, d’animaux, d’objets de luxes, de parades, de séductions et de cérémonies. Il y a eu également bien entendu, des échanges de sentiments, de savoirs…Il semble qu’il n’y ait pas eu de guerre. Ce réseau touffu d’échanges, s’est étendu et établi régulièrement sur des centaines et des centaines de kilomètres, avec une très abondante diversité.
Trois caractéristiques de la civilisation de Çatal Hüyük contrastent très nettement avec les proliférations d’échanges et des richesses qui témoignent d’une vie fastueuse, où la volupté pouvait s’étendre et se partager.
D’abord, une espérance quantitative de vie particulièrement basse. Seule une jeunesse vivait et mourrait à Çatal Hüyük. On n’a pas trouvé de signe de vie humaine au-delà de quarrent ans. On y mourrait d’habitude très jeune. Cela, alors même que dans les populations semi nomade des vallées environnâtes, la vie humaine, pourtant beaucoup plus pauvre et menacée de famine, pouvait dépasser soixante ans. La vie individuelle à Çatal Hüyük ressemblait à une flamme merveilleuse et étonnante mais, relativement brève.
Ensuite, les populations riches, ont été jusqu’à aujourd’hui, plus inégalitaires que les autres, en règle générale. Or c’est, tout au contraire, un égalitarisme systématique qui caractérise la civilisation de Çatal Hüyük. Les temples mises à part, la plupart des constructions occupent une superficie proche. Elles sont divisées en général en trois pièces (parfois deux ou quatre). Les tombes des femmes sont préparées de pierres précieuses, travaillées et assemblées, de fleurs et de graines variées et d’objets utiles et précieux. Elles sont plus riches que celles des hommes, mais à peine. Il faut aussi remarquer que les squelettes, après avoir été longuement préservés, assaini et blanchis, à l’extérieur du village, étaient amoureusement placés sous les lits. Et les enfants dormaient avec les parents, le plus souvent avec les mères, dont les lits étaient beaucoup plus grands.
Dans les temples, les sculptures témoignent d’un culte élaboré d’une “déesse mère” comprenant la représentation des femmes, de divers animaux et souvent d’un enfant. Mais les fresques murales montrent une société qui doit être qualifiée, avec précautions et nuances, de “patriarcal” puisque, en général seuls les hommes chassaient en groupe et possédaient donc des armes les plus performantes. Les autres pouvoirs que le pouvoir des armes (politique, économique, cérémoniel, familial…) étaient évidemment beaucoup plus partagées et l’inégalité entre les hommes et les femmes étaient de toute évidence, beaucoup plus faible que dans la plupart des civilisations connus, y compris la nôtre, capitaliste.
Les sculptures en pierre des déesses et des bêtes à cornes, de même que les fresques aux couleurs pourtant vives et diversifiées, ont été faites délibérément, sans soucis esthétique autre que celui d’échapper à la laideur. Il n’est certes pas très courant de voir, par exemple, une femme accouché d’un taureau (l’accouchement, cet acte essentiel, a d’ailleurs était l’objet d’un tabou extrêmement répondu, du point de vue de la représentation, dans les civilisations connus, y compris la nôtre). Cependant, du point de vue cérémoniel, dans le travail de la pierre ou sur la pierre, aucun soucis d’originalité, de provocation, de l’effroi ou de raffinement formel, n’est perceptible ici, pendant environ sept cent ans.
Ces recherches esthétiques et formelles, caractérisent pourtant l’humanité, pour le meilleur et pour le pire. À Çatal Hüyük, les facultés de l’imagination se sont sans aucun doute localisé dans des créations en matériaux périssables, venus des environs et de très loin, à l’instar de l’art des bijoux.
Une partie de mon œuvre a consisté à faire revivre, à se diversifier et à se multiplier la splendeur des célèbres Liliths à Çatal Hüyük, dans ses environs ou ailleurs. Lilith n’est pas pour moi le nom d’une femme, mais de toutes les femmes superbes, qui luttent pour légalité intégrale et qui s’y donnent corps et âmes. Il faudra briser, détruire, anéantir les divisions et polarisation en sexes, âges, races, classes etc: Autant de signes abjectes de barbarie et de conformismes totalitaires, de l’absence quasi totale de liberté et d’autonomie légales, individuelles et collectives. La mémoire de l’effort des femmes pour l’égalité, nous continuerons à la raviver jusqu’à la préhistoire.