Joël Gayraud

PARTIR

Partir
partir du bon pied
la valise à la main
le pied bien botté
d’une botte à semelle crantée
pour laisser son empreinte
sur la poussière des chemins
la poussière qui s’en ira demain

Une botte rouge au pied gauche
une botte verte au pied droit
la rouge pour faire rougir
les soliveaux
les blancs-becs
les bleubites
et les végétariens
la verte pour faire verdir
les caméléons dans les halliers
les feuilles sèches dans les herbiers
le rire jaune des carnassiers
et le causse en plein été

Partir en portant
la valise bosselée
la valise en cuir brun
la valise qui contient
tous les souvenirs des voyages passés
les photos
les cailloux
les billets de tram
les tickets d’entrée
les cartes postales fanées
qu’on n’a pas envoyées
les bagues des cigares fumés
dans la moiteur d’un tropique
ou le grelottement d’un hiver
les sous-bocks rapportés
de quelques continents oubliés
et qui se mettent à danser
la ronde des bars et des baisers
qui remontent du fond du passé
le bar Testa d’Albisola
le café Schade à Copenhague
le Club 64 à Hong-Kong
le Two A d’Alphabet City
le Nautic Club à Microlimano
le Floridita de la Havane
le bistrot sans nom de l’Alfama
la Cabane sur la Maine à Montréal
entre autres pubs
et rades
et bouges
guère plus sélects
qui tressent
un collier d’ivresse
autour de ma mémoire
trouée

Et quand on revient
c’est une valise un peu plus bosselée
qu’on tient à la main
lourde d’autres cailloux
d’autres billets usés
d’autres tickets troués
d’autres sous-bocks
d’autres photos
d’autres baisers
oui
d’autres baisers
qui nous suivront
ou non
jusqu’au prochain
départ