Ody Saban & Thomas Mordant

Sur le mythe matérialiste de la révolte insurgée

1) Le domaine du masque
 


La révolte s’avance entièrement masquée. 



Comme le disait Malcolm X : « La vérité est du côté des opprimés ». Cependant, comme l’amour, la révolte ne peut s’exprimer que de façon balbutiante ou métonymique ou métaphorique. Personne, ou presque, ne veut la vie comme on la vend, mais un grand masque recouvre tout le corps social des opprimés.



La plupart des « intellectuels » à la mode et leurs suiveurs se sont jetés comme des goinfres sur l’idée maigrelette d’ Etienne de la Boétie : «  la servitude volontaire des masses. » La Boétie était, certes, loin d’être un révolutionnaire, même de point de vue de la bourgeoisie. Et voilà ce qui est si confortable pour l’esprit de beaucoup d’anciens révoltés. 



Or les opprimés se révoltent partout et tout le temps. Même dans la défaite, comme l’a dit la grande féministe et anthropologue Nicole Claude Mathieu : « Accepter n’est pas consentir ». L’acceptation de la soumission sous la contrainte, aigüe ou chronique, n’équivaut en rien à la contrainte à la soumission.

Les opprimés ne se révoltent jamais dans les formes géométriques qu’exigent des esprits qui cherchent à tout prix à se distinguer du « vulgaire ». Cependant, si les opprimés ne se révoltaient et ne résistaient pas en permanence, il y a bien longtemps que la prostitution généralisée se serait établie de la pire manière, par les logiques combinées du patriarcat, de l’impérialisme et du capitalisme, ainsi que la privatisation généralisée de tout et que nous serions toutes mortes et tous morts. 


2) Le domaine de l’invocation


Qui vive ? A quoi faire appel ? 



Nous vivons dans une civilisation qui fait la guerre et génocide sans s’en apercevoir. Cette civilisation a perdu le sens de l’hospitalité, du voisinage et du don. Le sens du soin du corps dans la course, la danse et la tendresse. Elle ne sait plus pleurer longtemps de peine ni de joie. Elle ne sait plus jouer gratuitement, ne serait-ce que pendant plusieurs mois, semaines ou jours. Elle a peur du fantôme de la religion et se roule dans une matérialisme métaphysique d’une vulgarité inouïe. La montée de l’intolérance de l’élite nord occidentale et mondialisée va se poursuivre. Qu’opposer à cela ? 


C’est l’esprit d’enfance dans son sérieux, sa logique, sa ténacité qui est à la base de toute subversion radicale. Il contient la partie la plus précieuse de l’esprit d’insoumission et de poésie : dans l’esprit d’enfance les deux faces de cette lame sont liées de façon indissociable. L’esprit d’enfance veut jouer, partir à l’aventure, et il le veut frénétiquement. Cet esprit d’enfance est présent chez tous les opprimés, à commencer par les enfants eux-mêmes. Les désirs du jeu gratuit communiquent avec ceux de l’égalité. Cette égalité reste notre planète jumelle. Elle voudrait que nous nous explorions mutuellement.

Nous appelons à la formation d’une armée autonome auto- organisée de bébés munie de grandes sucettes pointues qui peuvent aller jusqu’à très loin à l’intérieur des cerveaux – percer les yeux qui tournent en rond, carrés ou rectangulaires à l’intérieur d’eux- mêmes.


3) Le domaine de manifestation du grand Non

Le grand Non n’a pas de nom. Tant d’anarchistes (et nous sommes anarchistes) et de communiste libertaires (et nous en sommes aussi) ont fait graver sur leur tombe : « Ni Dieu Ni Maître ». Mais ces grands consommateurs de formules toutes faites croyaient à peu près en totalité aux sciences de leurs temps ou du moins au peu de ce qu’ils avaient cru en comprendre. Ces vérités furent, bien entendu, rapidement invalidées : toute vérité proclamée commence à geler. Et la plupart de ces révolutionnaires demandaient en Maître à « leurs » enfants d’obéir et il leur arrivait de les punir, de les pincer, de les punir encore, de les priver de dessert, ou pire. Et quant aux fantasmes pornographiques idiots et abjects, comme ceux d’aujourd’hui, qui les faisaient frémir d’un désir de Domination, ils auraient fait frémir de dégout celles qui les inspiraient.

Notre grand Non se forme parfois très tôt dans l’enfance. Certains enfants de trois ou quatre ans deviennent, par exemple, végétariens, malgré les forçages, parce qu’ils aiment les animaux. C’est vers treize, quatorze ou quinze ans qu’un Non irrémédiable s’articule parfois à voix si basse que celles et ceux qui le prononcent l’entendent à peine.


C’est un grand Non contre toute la civilisation existante dont ils ont fait souvent à peu près le tour. Il occupe alors presque tout l’espace mental, à côté d’un désir de « tout autre chose » : une passion de l’égalité concrète, de la création collective. 

 Vincent Bounoure, notre « Grand Ancêtre » à toutes et à tous, disait que « chacun de nous s’il est surréaliste engage bien plus de ce qu’un individu peut donner ». C’est ce pari qui est pour nous le grand Non comme le grand Oui surréaliste. 



Depuis le cœur d’un quartier populaire de couleur à Paris, ville blanche de peur, provisoirement…