Guy Girard

VOYAGE DANS UN CACHET D’ASPIRINE

J’ai longué les rivages hercyniens et le rire des méduses
la très longue ficelle du printemps puis le vol des chauves-souris
quand dans l’arbre de l’inconnaissance sans cesse gueulait
l’embaumer cosmopolite ses ordres pour raser les montagnes
dont les sommets supportèrent les balais des sorcières
plantés comme autant d’aiguilles d’accupuncture sur l’approche du vide
J’ai posé ma main sur la table débarassé de ces usines
à mystifier l’opéra du quotidien et je me suis caché dessous
jusqu’á ce que vienne à ma rencontre l’étincelle du présent
Une lanterne rouge brilla sur les dos de la tortue
annonçant la poussière tirée par ces six cheveux lunaires
puisque c’est un domaine comme une tarte aux pommes
que ne peuvent concevoir ni l’empereur des cailloux
ni les boulets de canons qui depuis la bataille des Indes Noires
font la ronde autour d’un tout petit cachalot vidé de son sperme

***

Il a bien fallu qu’un jour un premier poète se défenestre
et tombe dans l’innommable chaudron
qui maintenant parmi les herbes de la sauvagerie reconquise
n’est plus qu’un chemin de fer miniature
ressemblant aux lignes de la main de l’homme invisible
Mais je ne sais pourquoi il fut tout aussi nécessaire
que ce matin je lise dans le journal l’étrange mort
d’une vielle femme tuée par la chute d’un cactus
Ces deux évènements sont l’un et l’autre des clés
pour comprendre que microcosme et macrocosme sont
un même épouvantail dressé sur le champ des coïncidences
qui dans mon village natal touche d’un côté au feu original
et de l’autre au chant des sirènes qu’on entend encore
à la tombée de la nuit quand les abeilles enfin cessent
de butiner les dédales gelés de l’alphabet runique
Une de ces sirènes semble m’attendre au bout de la table
un chou vert posé sur la tête en guise d’escarboucle
Elle m’invite à sauter parmi ses feuilles telles des masques
enveloppant le cœur du temps
Masques de l’air et du feu j’escalade les grilles
pour m’introduire dans leurs yeux de cristal
Voyages dans les spasmes de la rosée dont l’ombre
est ce cheveu arraché au soleil qui me sert de radeau
pour traverser le lac incertain des neurones
Là-bas quelqu’un me fait signe un papillon de jade
m’invite à franchir maintenant le seuil d’un nuage
qui est une toupie au centre minuscule de la Terre

12 mai 2018