David Nadeau

LA MER HERMÉTIQUE

Il est temps pour le surréalisme de devenir comme le crible à bord duquel le Docteur Faustroll et ses passagers naviguent sur les ondes électromagnétiques qui parcourent la haute couche de l’atmosphère terrestre. L’ensemble de ces « Eaux supérieures » forme le filtre et le lieu de concentration où sont transformés les rayonnements ultraviolets en provenance des espaces intersidéraux. Le déluge subtil causé par le débordement de la Mer Alchimique, ou Mercure, dissout les apparences sensibles et rationnelles sur lesquelles reposaient les structures sociales capitalistes et qui assuraient leur reproduction. L’esprit qui s’ouvre sur l’immensité de cette mer, où le sens commun ne trouve plus de repères, est transféré dans un autre espaces-temps, non pas linéaire mais cyclique, dans lequel il risque d’être absorbé sans retour. Cette perturbation de l’équilibre logique de la conscience profane de l’état de veille est la matière première du Grand œuvre sur le plan mental et spirituel. L’alchimiste Bernard Roger assimile le Mercure à l’Autre monde des contes de fées, ainsi qu’à l’inconscient collectif de la psychologie jungienne (Initiation et contes de fées, p. 24).

Les ondes supérieures génèrent la rosée, de laquelle, pendant le mois de mai exclusivement, peut être tiré un Sel, isotope du nitre, ou isomère. Le Mercure, Dissolvant universel, ne peut être extrait que de ce corps cristallin, bien qu’il soit présent à l’état latent dans toute la nature3. L’eau qui tue et qui ressuscite vient de Nammu, la vaste mer où se trouve l’origine de la vie.

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Photo by Christian Girard, “Chez Madame Verret”

3 « […] vous jugez bien que la femme qui est propre à la pierre et qui doit lui être unie, est cette fontaine d’eau vive, dont la source toute céleste, qui a particulièrement son centre dans le Soleil, et dans la Lune, produit ce clair et précieux ruisseau des Sages, qui coule dans la mer des Philosophes, laquelle environne tout le monde […] ». Limojon de Saint-Didier, Entretien d’Eudoxe et de Pyrophile sur l’ancienne guerre des chevaliers, dans Le Triomphe hermétique ou La Pierre philosophale victorieuse (1699).

À LA LUEUR DE L’OMBRE

I

Une fois l’automne entièrement sublimé,
noyez les déserts impassibles.
Le sang de l’hydre est un poison paradoxal.

Les arbres prophétiques se rapprochent de nous…
Tous les séismes convergent.
Le vent s’étire jusqu’aux derniers rayons.

Je vous le conseille : évitez le temps.
L’humanité est engloutie par le marécage céleste,
l’océan somnambule,
le cendrier ondulatoire,
le creuset du cœur.

Est-ce enfin terminé?
La putréfaction du diamant dans les hautes couches de l’atmosphère était prévue depuis le début.

II

Ce début s’étire à la lueur de l’ombre possible.
Les arbres défilent sur le siège du passager.
La route s’enfonce dans le foie.
Le cœur s’approche de l’océan occulte.
Le vent balaie les somnambules ondulatoires sous les débris précieux de l’Atrabile.
Les derniers rayons convergent pour une plus complète dissolution.
L’automne engloutit le diamant paradoxal.
Le séisme demeure stoïque.

Les existences passées dans le marécage céleste,
est-ce enfin terminé?
Nous reverrons vos vieux amis.

La disparition de l’humanité est un mauvais souvenir.

Photograph by Joffrey Floyd Doyon

Photograph by Joffrey Floyd Doyon

Le Domaine des Enchanteurs

Bruno Geneste and Paul Sanda, Les surréalistes et la Bretagne : le Domaine des Enchanteurs. Éditinter, 2015.

Une barque invisible parcourt les profondeurs de l’inconscient, et met l’homme au défi de traverser les arcanes du désir, de fendre les portes du merveilleux en lui-même. – Bruno Geneste et Paul Sanda

Après Ouessant, l'(H)ermitage des Grands Vents (Éditions Rafael de Surtis, 2013), Les surréalistes et la Bretagne est le deuxième essai issu de l’association entre les poètes Bruno Geneste et Paul Sanda, surréalistes des forces nues, du rivage, des sables et des roches.  Trente-deux courts chapitres sont consacrés à des créateurs, surréalistes pour la plupart, et à leurs rapports avec la géographie, la culture et la mythologie de la Bretagne. Ce sont les Grands Ancètres, dont les auteurs, devenus hommes d’écume, ressentent la présence lors de leurs dérives le long des grèves, des estrans et des falaises, mais aussi dans la Chambre de veille du sémaphore de Creac’h, à Ouessant, lieu  d’écriture de cet ouvrage, et pendant leurs danses chamaniques…

Les six derniers chapitres sont consacrés à l’exposé des théories poétiques de Sanda et Geneste, et forment ainsi une espèce de manifeste«  du surréalisme océanique, ou surréalisme des grèves. Ce que ces poètes nomment l’expérience atlantique des lisières consiste à amasser des expériences, des intuitions et des perceptions, au contact des éléments de la nature qui participent du paysage breton :

Ainsi le sémaphore a pu déposer sur nous et en nous son éclairage tournant dans la nuit ouessantine, le long poème d’une mer farouche à nulle autre pareille. Voilà que nous avons choisi de nous prolonger ici sans cesse, dans le fracas des rochers et dans l’immensité aqueuse capable de laisser une brèche infranchissable emplir nos sens et nos désirs, et toute l’intensité volontaire de l’exil au coeur même du complexe géologique qui le porte : le courant invisible qui achemine le poème à la surface d’un continent fait de magmas et de mèches que le jusant bouscule.

Dans le chapitre sur les « finis terres d’Yves Tanguy », est mentionnée la Géopoétique, inventée par l’écrivain Kenneth White au début des années 1980 et exposée dans son livre Le Plateau de l’albatros. En effet, la quête poétique poursuivie par les deux auteurs des Surréalistes et la Bretagne se rapproche des principes fondateurs de ce courant de pensée et de création, définis sur le site internet de l’Institut International de Géopoétique:

La géopoétique est une théorie-pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport Homme-Terre depuis longtemps rompu, avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique et intellectuel, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde refondé.4

Le 6 novembre 2014, sur les rivages de la côte anglaise, deux enfants découvrent une bouteille échouée contenant le fragment du poème « La femme sur la plage », d’André Breton. Sous le poème sont écrites les indications suivantes : « Un poète, un poème, une bouteille à la mer…/Bouteille lancée par la Maison de la Poésie du Pays de Quimperlé le 5 septembre 2014. Si vous trouvez cette bouteille veuillez nous contacter au 06 20 82 82 24 ». Ceci a eu lieu à l’occasion de la quatrième édition des « bouteilles à la mer », organisée, sur l’idée de Paul Sanda, par la Maison de la Poésie du Pays de Quimperlé, une association animée par Bruno Geneste. Chaque année, sept bouteilles en verre, contenant chacune un poème, sont lancées au port de Doëlan (Finistère).

3. Des poèmes en prose extraits des Limbes incandescentes, de Kenneth White, sont publiés dans le huitième numéro de la revue La Brèche, en novembre 1965. Puis, en 1996, les éditions L’Instant Perpétuel publient La danse du chamane sur le glacier, essai géopoétique de Kenneth White sur l’oeuvre de Jorge Camacho, accompagné de sept dessins et de six photographies d’une sculpture de ce dernier.
4. www.kennethwhite.org/geopoetique/

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